DPE : faut-il vraiment interdire à la location les logements classés E ?

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DPE : faut-il vraiment interdire à la location les logements classés E ?

Robin Rivaton
CEO @Stonal
19.11.2025
27.11.2025
Robin Rivaton
CEO @Stonal
Perrine Abrard
CMO @Stonal
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Faut-il vraiment interdire à la location les logements classés DPE E ?

Interdire à la location les logements classés E… sérieusement ? Après avoir déjà écarté du marché les biens en F et en G, la France s’apprête à s’attaquer à un morceau autrement plus conséquent. On quitte les « passoires » évidentes pour entrer dans le ventre mou du parc résidentiel — celui qui n’est ni brillant, ni dramatique, mais qui représente un volume colossal. Avant de ressortir le marteau réglementaire, il faut se poser une question simple : est-ce vraiment nécessaire ?

Un contexte réglementaire clair… mais une réalité beaucoup plus complexe

La loi Climat et Résilience trace un calendrier précis : interdiction des G+ depuis 2023, des G en 2025, des F en 2028, et des E en 2034. C’est propre, progressif, logique.

Sauf que la réalité du parc ne suit pas toujours la simplicité des lois.

La France compte environ 30,6 millions de résidences principales. Les logements classés F et G représentent encore près de 14 % de l’ensemble. C’était la zone rouge : celle qu’il fallait traiter en urgence. Mais les logements classés E représentent, eux, plus de 21 % du parc. Autrement dit : un logement sur cinq.

Et on ne parle pas ici d’un public secondaire. On parle de familles, de retraités, de travailleurs modestes, qui n’ont pas la possibilité de se reloger facilement si leur appartement devient « hors la loi » du jour au lendemain.

Le parc social : mieux positionné, mais loin d’être en dehors du sujet

Contrairement à une idée répandue, le parc social n’est pas un bloc homogène de logements performants. Certes, il part d’un meilleur niveau : seulement 7 à 8 % des logements sociaux seraient classés F ou G, bien moins que dans le parc locatif privé.

Mais le vrai sujet, ce sont les E.

Le parc social compte environ 5,4 millions de logements, dont près de 15 % classés en E — soit environ 750 000 logements. C’est énorme. Même pour des bailleurs sociaux aguerris, habitués aux opérations lourdes et à la programmation pluriannuelle, ce volume représente un défi majeur : en ingénierie, en capacité d’intervention, en financement, et en organisation interne.

Le parc social est donc pleinement concerné par la question de l’interdiction des E : pas en périphérie du problème, mais en plein dedans.

Pourquoi certains plaident pour un ralentissement

Plus on remonte dans les classes énergétiques, plus le rendement des rénovations décroît. Passer d’un G ou d’un F à un D, c’est un saut quantique. Passer d’un E à un D, c’est un progrès incontestable, mais beaucoup moins spectaculaire.

Le problème est aussi mathématique. Rénover un E coûte moins cher qu’un F ou un G, certes. Mais quand on parle d’un cinquième du parc national — soit près de deux millions de logements à traiter d’ici 2034 — l’effort global devient gigantesque.

Du côté des bailleurs privés, certains préfèrent déjà vendre plutôt que rénover, contribuant à réduire une offre locative déjà exsangue.

Chez les bailleurs sociaux, la capacité opérationnelle n’est pas infinie : intégrer 750 000 E à rénover représente un choc de cadence majeur.

Pourquoi supprimer l’interdiction serait un très mauvais calcul

Derrière un logement classé E, il y a souvent un ménage qui subit : factures disproportionnées, murs froids, inconfort chronique, humidité, voire soucis de santé. Les données de l’ONPE ou de l’ANCOLS le montrent très clairement : les logements énergivores touchent prioritairement les ménages modestes, y compris dans le parc social.

Renoncer à traiter les E reviendrait à accepter qu’une part significative de la population vive durablement dans des conditions médiocres. Tout cela au nom d’une prétendue « préservation de l’offre locative », un équilibre qui, en général, ne se fait jamais en faveur des locataires.

Il y a aussi la question du signal envoyé. Changer les règles maintenant — après les reculs déjà observés dans d’autres politiques écologiques — reviendrait à dire : « attendez toujours, rien n’est jamais certain ». Pour motiver la rénovation, c’est l’exact inverse de ce qu’il faut.

Alors, faut-il interdire les E ?

La réponse ressemble à un « oui, mais intelligemment ».

Oui, il faut conserver une ambition sur les logements E. On ne peut pas se permettre de laisser un cinquième du parc dans une zone grise, sans incitation forte à progresser.

Mais non, on ne peut pas appliquer une méthode brutale et uniforme. L’interdiction des E doit être accompagnée, progressive, adaptée aux territoires et aux capacités réelles de chaque type de bailleur — social comme privé. Et surtout, elle doit s’inscrire dans un cadre stable, lisible, durable.

Conclusion : garder le cap, mais arrêter de courir sans regarder derrière

Interdire les E, oui. Mais le faire sans stratégie, sans priorisation, sans moyens, ou sans prévisibilité réglementaire ? Impossible.

La rénovation énergétique est un marathon, pas un sprint. Si l’on veut éviter une crise locative encore plus sévère, il faut garder la direction… mais s’assurer que tout le monde puisse suivre, du particulier bailleur à l’OPH, en passant par les grandes foncières sociales.

Sinon, on se retrouvera avec un parc locatif amputé, des ménages toujours exposés, des bailleurs débordés… et aucune vraie victoire écologique à célébrer.

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