« Right-sizing » : La baguette magique à la crise du logement ?

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« Right-sizing » : La baguette magique à la crise du logement ?

Perrine Abrard
CMO @Stonal
27.11.2025
27.11.2025
Perrine Abrard
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Le Right-sizing : mais qu’est ce donc ?

Le concept de « right-sizing » consiste à ce qu’un ménage ou un propriétaire ajuste la taille de son logement — par exemple déménager d’une grande maison familiale vers un logement plus adapté à ses besoins, ou libérer un grand logement lorsqu’il n’est plus « rempli » par ses occupants. À première vue, c’est une idée séduisante : elle permettrait de mieux utiliser le parc de logements existants, d’alléger les charges, de mieux correspondre aux besoins, et même potentiellement de soulager la tension sur l’offre. Mais attention : elle n’est ni automatique, ni sans obstacles. Qui plus est, elle concerne différents types d’occupation (locatif privé, logement social, propriété) et chacun avec ses contraintes propres.

Un potentiel documenté dans les données INSEE

L’INSEE livre des chiffres impressionnants qui montrent l’ampleur possible du phénomène. Selon une étude publiée en juillet 2025, un quart des ménages français vit dans une résidence principale considérée en « sous-occupation très accentuée » — c’est-à-dire un logement comportant au moins trois pièces de plus que ce qui serait « nécessaire » pour ses occupants. Cela représente quelque 7,6 millions de logements environ. Parmi eux, près de 80 % sont des maisons individuelles occupées par une ou deux personnes.

Autre indication utile : au 1er janvier 2023, la France comptait environ 37,8 millions de logements, dont 82,1 % étaient des résidences principales. Le nombre de ménages propriétaires s’établissait à 57,2 % dans ce même contexte.

Ce cumul de chiffres suggère un gisement de logements – et donc de potentialités pour le « right-sizing » – particulièrement important dans le segment de la propriété individuelle, mais également dans le locatif ancien lorsqu’un déménagement ou une restructuration devient possible.

Pourquoi ce gisement reste largement sous-mobilisé

Le « right-sizing » n’est pas seulement une question de taille. Il implique un changement de logement, de lieu, parfois de forme d’habitat. Et c’est là que surgissent les obstacles. D’abord, il y a le lien affectif ou de repère : une maison familiale dans laquelle on vit depuis des décennies, dans un quartier que l’on connaît, entouré d’amis, d’enfants et de petits-enfants… difficile de se projeter ailleurs, même si la maison est aujourd’hui « trop grande ». L’étude de l’INSEE le dit clairement : seulement 36 % des ménages vivant dans un logement en sous-occupation très accentuée considèrent que le nombre de pièces est effectivement supérieur à leurs besoins.

Ensuite, il y a le coût et la complexité du déménagement : logistique de vente ou de libération, recherche d’un logement plus petit, adaptation à un nouveau lieu (écoles, transports, voisinage…), sans compter parfois l’effet d’isolement ou de « rupture » sociale et spatiale. Pour les locataires comme pour les propriétaires, le changement n’est jamais trivial.

Pour les bailleurs ou les gestionnaires de parc, ce potentiel est donc bien réel — mais mobiliser les occupants ne se fait pas simplement par un appel d’offre « voulez-vous déménager pour optimiser le parc ? ». Cela exige accompagnement, incitations, mesures de soutien voire accompagnement psychologique ou social.

Locatif vs propriété : enjeux différenciés

Dans le locatif, le « right-sizing » peut être envisagé comme un outil de meilleure adéquation entre la taille du logement et la composition du ménage. Pour un bailleur privé ou social, inviter un ménage occupant une grande maison à déménager vers un logement plus adapté permettrait de libérer un logement plus grand pour une famille, de mieux équilibrer le parc, de réduire les charges d’entretien ou de consommation du logement.

Dans la propriété, c’est tout une logique de cycle de vie qui est concernée : un couple devenu retraité ou dont les enfants sont partis peut choisir de vendre sa maison de 5-6 pièces et d’acheter un T3 ou T4 plus modeste. Ce choix peut permettre de dégager du capital, de réduire les charges, d’alléger l’entretien, mais c’est aussi un acte de vie fort. La donnée de l’INSEE qui montre que la sous-occupation très accentuée touche majoritairement des maisons individuelles occupées par une ou deux personnes va dans ce sens.

Mais dans les deux cas, locatif ou propriété, ce n’est pas une baguette magique. Le simple fait d’avoir un logement « trop grand » ne suffit pas à déclencher une volonté de déménager. Il faut des conditions propices : bonne offre de logements adaptés, attractivité de la destination, coût raisonnable du déménagement, incitations ou accompagnements, et souvent un changement de vie bien anticipé.

Vers quelles stratégies pour transformer ce potentiel en réalité ?

Si l’on veut que le « right-sizing » devienne un levier utile, plusieurs conditions doivent être réunies.

D’abord, il faut identifier les ménages concernés – ceux en sous-occupation marquée – et les informer des possibilités. L’indicateur de l’INSEE, selon lequel un quart des ménages est concerné, donne une échelle.

Ensuite, il faut proposer un logement de substitution attractif : un logement plus petit mais bien situé, bien équipé, dans un quartier agréable, à un prix ou un loyer adapté. Sans cela, le frein au déménagement reste fort.

Troisièmement, il faut envisager des incitations – par exemple, un accompagnement au déménagement, des aides à l’adaptation (travaux, adaptation de mobilité), ou des dispositifs dédiés aux propriétaires souhaitant « downsizer ».

Quatrièmement, il faut un cadre temporel cohérent : le dossier « right-sizing » ne se monte pas en un mois. Il faut du temps, de l’accompagnement, parfois une réflexion personnelle.

Et enfin, il faut accepter que le phénomène ne soit pas massif du jour au lendemain : c’est un levier parmi d’autres pour fluidifier le parc de logements, améliorer l’adéquation offre-demande, mais ce n’est pas la solution unique à la crise du logement.

Focus : et le logement social dans tout ça ?

S’il y a bien un secteur où le « right-sizing » pourrait avoir un vrai bénéfice, c’est le logement social. Pourquoi ? Parce que c’est le seul parc où l’on peut réellement agir sur l’adéquation logement/ménage — inciter, accompagner, parfois même contraindre légèrement.

Et la demande explose : listes d’attente interminables, ménages prioritaires bloqués, difficultés d’attribution… Pendant ce temps, des T4 et T5 restent occupés par des personnes seules depuis le départ des enfants ou après un changement de situation familiale.

Sur le papier, le logement social devrait être le champion du right-sizing : règles d’occupation, loyers maîtrisés, gestion unifiée, accompagnement social.

Alors pourquoi ça avance si lentement ?

Parce que le logement social n’est pas qu’un parc immobilier. C’est un écosystème humain, fait de relations, de repères, de routines. Déplacer un locataire, ce n’est pas simplement lui proposer une surface différente : c’est parfois casser un réseau d’entraide, modifier un quotidien bien rodé, rompre un attachement profond au quartier ou bousculer des équilibres familiaux qui se sont construits sur des années.

Et côté bailleurs, le sujet n’est pas moins complexe. Beaucoup manquent d’offre réellement attractive pour proposer une alternative crédible. S’ajoute la crainte d’être accusé de « pousser dehors » des ménages fragiles, la gestion des coûts de relocation, les travaux à prévoir, les délais techniques… Rien de tout cela ne se pilote à la légère.

Oui mais… certains bailleurs montrent que ça fonctionne

Paris Habitat, par exemple, travaille depuis plusieurs années sur la mobilité résidentielle, avec une politique assumée : la sous-occupation est considérée comme un critère « ultra prioritaire » pour reloger les ménages qui souhaitent changer de logement. Autrement dit, lorsqu’un locataire occupe un logement devenu trop grand, le bailleur fait de la recherche d’une alternative une priorité forte dans son processus d’attribution.

L’organisme francilien a également développé un accompagnement spécifique pour les locataires seniors, conscient qu’un déménagement peut être source d’inquiétude, de perte de repères, voire d’isolement. Avec l’avancée en âge, ces difficultés s’accentuent souvent, rendant chaque étape — visite, préparation, tri, déplacement — plus lourde à vivre.

C’est précisément pour répondre à ces fragilités que Paris Habitat a complété son dispositif de relogement et de gestion des mutations par une offre de services dédiée aux plus de 65 ans, en particulier ceux en perte d’autonomie. Cet accompagnement, véritablement personnalisé, couvre l’ensemble des phases du déménagement : écoute, appui logistique, soutien moral et présence physique au moment clé. Une manière d’assurer que le changement de logement ne soit pas seulement administratif, mais bien un parcours sécurisé et humain, pensé pour protéger et rassurer les locataires les plus vulnérables.

Certains OPH testent des parcours résidentiels sur-mesure : visite accompagnée, rencontre des voisins, possibilité de passer une journée dans le futur logement… étonnamment efficace.

Mais tous ont un point commun : ces résultats n’existent que parce que le bailleur connaît parfaitement son parc.

Le nerf de la guerre : la connaissance du parc

Le right-sizing n’est pas un concept théorique que l’on brandit dans un powerpoint : c’est une opération quasi chirurgicale, qui exige une maîtrise millimétrée du parc. Pour reloger un ménage dans de bonnes conditions, un bailleur doit savoir exactement où se trouvent les T2 accessibles susceptibles d’accueillir une personne seule, quels T3 sont adaptés aux personnes à mobilité réduite, quels logements seront libérés dans trois, six ou douze mois, quels bâtiments sont énergivores ou vétustes et nécessitent une requalification, mais aussi quels ménages vivent aujourd’hui dans des logements manifestement trop grands pour leur situation.

Cette connaissance fine ne relève pas du confort : elle conditionne la réussite de toute démarche de mobilité résidentielle. Sans une vision claire, à jour et consolidée du parc, il est tout simplement impossible de proposer une alternative crédible aux locataires concernés. Beaucoup de bailleurs disposent encore d’informations fragmentées, éparpillées dans différents services ou outils, rendant la stratégie de right-sizing difficile à activer au-delà du discours. On parle alors beaucoup du sujet dans les colloques, mais on peine à le concrétiser sur le terrain. Autrement dit : pas de connaissance du parc, pas de mobilité possible — ou alors au prix d’une grande improvisation, rarement compatible avec l’accompagnement des ménages.

Un angle opportunité : le logement social peut devenir moteur

Pourtant, derrière ces difficultés se cache une opportunité majeure. Le logement social peut non seulement s’emparer du right-sizing, mais en devenir un véritable moteur stratégique — à la fois sur le plan social, politique, écologique et patrimonial. En agissant sur la sous-occupation, un bailleur peut libérer des grands logements très demandés sans construire un seul mètre carré supplémentaire, ce qui, dans un contexte de foncier rare et de ZAN, relève presque du miracle. Cela permet également d’améliorer le taux de rotation, aujourd’hui historiquement bas, et donc de fluidifier l’accès au logement pour les familles en attente.

L’enjeu énergétique n’est pas moindre : un T5 occupé par une personne seule coûte cher à chauffer, à entretenir et alourdit l’empreinte carbone du parc. Réaffecter ces logements, c’est aussi réduire les consommations et optimiser les travaux de rénovation.

Du point de vue politique, le right-sizing offre une réponse tangible à la pression croissante sur les attributions. Il permet de montrer que le secteur Hlm ne subit pas la crise du logement : il agit. Et en termes d’image, c’est un levier puissant — celui d’un secteur qui fait bouger les lignes, assume un rôle d’anticipation et propose des solutions concrètes pour loger davantage de familles.

Enfin, cette approche encourage aussi une modernisation interne profonde : meilleure exploitation de la donnée, pilotage proactif, vision prévisionnelle, outils partagés… Bref, tout ce qui permet aux bailleurs de passer d’une gestion quotidienne à une gestion stratégique du parc. Et dans un contexte où construire devient de plus en plus complexe, la capacité à « produire » des logements disponibles sans poser une seule brique relève presque d’une révolution silencieuse.

Conclusion : un levier prometteur… mais pas universel

En conclusion, le « right-sizing » représente une opportunité concrète pour améliorer l’usage du parc de logements, alléger les charges des ménages, libérer des logements plus adaptés à la demande, et même accompagner les transitions de vie des occupants. Les indicateurs de l’INSEE montrent que le gisement est réel : près d’un quart des ménages sont dans une situation de logement manifestement surdimensionné.

Mais ce levier ne doit pas être vu comme une panacée. Le changement de logement implique des ruptures, des arbitrages personnels, des coûts, et dépend fortement du contexte local (offre de logements adaptés, attractivité, mobilité). Pour les acteurs du logement — bailleurs privés, sociaux, collectivités, propriétaires — il faut bâtir des stratégies réalistes, s’appuyer sur les données, prévoir l’accompagnement, et proposer des alternatives crédibles.

Le « right-sizing » peut devenir un des axes majeurs de la politique du logement demain — à condition d’être bien orchestré. Non pas le miracle du jour, mais la pièce d’un puzzle plus vaste. Et comme souvent dans le logement… la réussite viendra de celles et ceux qui sauront allier vision stratégique, maîtrise du terrain et un vrai sens du parcours humain.

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