Interview croisée de Michel Tolila et Blaise Heurteux.
Le quotidien des professionnels de l’immobilier est rythmé par le besoin de compréhension, de comparaison des actifs. Or, une des grandes difficultés auxquelles ils font face réside dans le fait que chaque immeuble est singulier. Pour mieux comprendre ces actifs, l’unification de la donnée paraît donc essentielle ; et elle passe par l’établissement d’une nomenclature commune. Comment parvenir à une standardisation de la donnée ? Qui doit l’initier ? Comment la transposer à l’international ? Interview croisée de Michel Tolila, Président de Stonal et Blaise Heurteux, Co-fondateur de La Place de l’Immobilier.
Tout d’abord, en quoi la standardisation de la data est-elle nécessaire dans le secteur de l’immobilier ?
Blaise Heurteux : Un immeuble, c’est un mélange entre une localisation, un usage et potentiellement un produit financier. Si l’on veut faire des analyses de cohérence, de valeur, de vétusté, de taux de remplissage… il faut parvenir à regrouper les immeubles en paquets cohérents, selon des critères communs. Mieux les analyser pour mieux les comprendre.
Michel Tolila : Augmenter la performance opérationnelle d’un actif immobilier ne peut plus être réalisée sur une équation financière, même optimisée et se basant sur des montants d’investissement et des montants de loyers ou encore des ratios au mètre carré, avec une grande difficulté à définir lesdits mètres carrés. Il faut effectivement répertorier les mètres carrés construits et ceux transformés ou réhabilités et mesurer des données au-delà du rendement financier.
Aujourd’hui, en raison de la transformation environnementale, nous avons certes besoin de connaître la surface exploitable mais également les constituants de notre immeuble pour pouvoir poser toutes les conditions de bonne gestion et de respect des nouvelles réglementations qui apparaissent, côté environnement et conformité règlementaire. Il est donc absolument nécessaire d’être en capacité d’unifier toutes les données qui caractérisent un actif immobilier, qu’il soit commercial, résidentiel ou logistique.
La standardisation de la donnée permet de mieux comprendre ce qui définit un actif : son emplacement, ses matériaux, ses volumes, ses surfaces, ses pouvoirs isolants… En synthèse, tout ce qui va toucher la trajectoire carbone et le bon traitement réglementaire de cet actif immobilier.
BH : Un autre élément à prendre en compte est que dans le contexte actuel, un actif immobilier constitue certes un bien financier mais il représente également un bien pour la société, pour la communauté et pour la ville. Certains mouvements revendiquent même que la propriété ne soit plus individuelle mais collective en évoquant que le foncier est un bien devenant de plus en plus rare et donc stratégique. Au-delà des courants de pensée, la bonne compréhension de l’usage d’un immeuble (qui passe par l’établissement d’un référentiel) apparaît essentielle. Car si nous comprenons mieux l’usage des actifs, nous optimisons la ressource qui elle est limitée.
Que permettrait une nomenclature universelle ?
MT : Depuis quelques années, une base nationale des bâtiments est en construction en France : elle comporte entre 24 et 25 millions d’actifs sur l’ensemble du territoire. Le BIM, sorti il y a une vingtaine d’années, a déjà permis de constituer des éléments caractérisant la composition de chacun de ces actifs immobiliers et de transformer les plans en de véritables base de données : une data fiable décrivant chaque actif “BIMé”.
Les grands propriétaires ont tous besoin de connaissances et de comparaisons pour mesurer leur performance opérationnelle. Une nomenclature universelle ou tout du moins standardisée et associée à ses définitions permettrait de disposer des critères d’analyse de comparabilité représentatifs de l’ensemble des actifs immobiliers.
Concrètement, comment parvenir à une standardisation de la donnée ?
BH : Il est surtout important de savoir par où commencer. Nous nous étions posés la question au sein de La Place de l’Immobilier et avions tranché : nous allions nous placer du côté du propriétaire et tenir compte de l’usage de l’immeuble. Prenons un exemple concret. Quelle est la différence entre une résidence séniors et un EPHAD ? L’un est assimilable à de l’hôtellerie, l’autre est médicalisé avec des équipements plus lourds. L’un est plus financiarisé que l’autre. Une frontière se dessine alors : celle des investisseurs immobiliers qui diffère en fonction de la financiarisation ou non d’un actif immobilier.
Au sein de l’immobilier d’entreprise, la nomenclature se dessine de manière de plus en plus claire en fonction des usages, selon nous. Nous avons un immobilier de production qui contient les usines, les bureaux (avec la création de produits immatériels, prestations…) et les locaux d’activité; un immobilier produit pour lequel l’immobilier est étroitement lié au chiffre d’affaires comme les hôtels et les commerces, et un immobilier de logistique qui permet de délivrer des produits. Là encore la classification s’opère en fonction de l’usage, avec des décideurs distincts et une valeur de l’emplacement qui diffère en fonction du type d’immobilier.
Qui doit être à l’initiative de la standardisation de la donnée en France ? L’Etat ou les acteurs privés ?
BH : Il faut savoir que l’Etat est le plus gros propriétaire en France, il revendique 90 millions de m2 dont 23 millions en bureaux. Au-delà de sa propriété, se pose également la question de sa responsabilité collective, notamment par rapport aux émissions carbone. Les enjeux environnementaux vont-ils pousser l’Etat à s’impliquer et maîtriser des référentiels ? Car au-delà d’une simple question financière, il s’agit de l’usage du territoire et de sa valorisation.
MT : Dans l’immobilier, ce qu’on a toujours vu, c’est que le marché était beaucoup plus proactif que le propriétaire ”Public”. Ce dernier a toujours besoin d’un temps pour construire ou constituer une norme et ses règles associées. Depuis quelques années, l’État se préoccupe de ses coûts d’exploitation et notamment des dépenses énergétiques de ses actifs immobiliers. Il a conscience de la nécessité de pouvoir analyser et comparer avec une plus grande précision cette consommation et ses coûts d’exploitation. L’Etat a donc mis en place une importante stratégie de collecte qui passe par la mise en œuvre de diagnostics de performance énergétique, les DPE mais également le déploiement de capteurs d’énergies (comptages, température, obsolescence, …).
De plus, l’immobilier est un actif qui représente un impôt important. Plus de 58 % de sa valeur est collecté en impôts sur sa durée de vie. Cela ne m’étonne pas que l’Etat voit la mise en place de normes et de collecte de datas sur l’immobilier avec une certaine gourmandise. J’utilise ce mot car de nombreuses lignes d’impôts sont prélevées sur les actifs immobiliers.
BH : Une chose est sûre, c’est que celui qui maîtrise le référentiel, maîtrise une grille de lecture et peut donc influencer in fine la façon de lire le marché. On l’a notamment vu avec les agents immobiliers qui au moyen d’Immostat remontent les tendances en immobilier d’entreprise.
MT : Ce qui fait la force d’un référentiel, c’est le fait qu’il soit utilisé comme un outil de comparabilité. Après, qu’il provienne du marché ou de l’État, l’important, c’est son déploiement pour le secteur.
Lorsque l’on veut comparer des entreprises entre elles, nous le faisons à l’aide de plans comptables. Cette norme comptable est comprise de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur l’économie de marché. Nous devrions un jour être en mesure d’établir un plan comptable de l’immobilier partagé par le secteur et disposant de toutes les définitions. Une comptabilité auxiliaire suffisamment précise et partagée par un grand nombre d’utilisateurs pour mieux analyser, comprendre toutes les sources, économiques, financières, techniques, technologiques, environnementales et énergétiques de l’immobilier.
Dernière question pour vous deux : une fois la nomenclature établie en France, serait-il possible de l’adapter au niveau international ?
MT : Sans aucune difficulté. L’immobilier est composé d’une partie financière et d’une partie bâtimentaire. La partie financière appelle à des règles comptables et fiscales qui sont propres à chacun des pays et donc la comparaison d’un pays à un autre est toujours complexe. En revanche, un bâtiment, qu’il soit construit en Allemagne, en France ou encore en Italie reste un bâtiment dans lequel on aura des murs, un toit, des fenêtres, des installations techniques… Le référentiel bâtimentaire est donc parfaitement comparable d’un pays à un autre.
BH : Une initiative que l’on a prise au sein de La Place de l’Immobilier avec Stonal c’est de rapprocher la technique, la valorisation et le marché. L’enjeu est ici encore plus grand parce cela nous permet d’avoir des grilles de lecture originales de l’immeuble.
MT : Effectivement, chez Stonal, nous avons rajouté au BIM ce que l’on appelle notre méta bibliothèque, qui est en fait une synthèse des différents composants d’un actif immobilier. Un immeuble peut contenir plus d’un million de composants. Arriver à comprendre et à apprendre ce qu’est un actif immobilier avec un million de composants cela reste complexe. Avec Stonal, nous avons réussi à identifier le nombre de composants génériques optimum qu’il est nécessaire de suivre pour analyser un immeuble : notre grille de lecture, de nomenclature ou “métabibliothèque en contient 4400… Il nous faudra encore agréger et simplifier, l’IA nous permettra de progresser sur ces études d’optimisation des sources et data à suivre pour un immobilier efficient.
Le mot de la fin ?
MT: Stonal et La Place de l’Immobilier œuvrent pour mettre à disposition de l’ensemble du secteur immobilier des informations qui trouvent un indice de comparabilité suffisant pour mieux comprendre la trajectoire optimum immobilière, depuis le marché et en association avec la gestion de l’exploitation et des coûts de fonctionnement d’un actif en regard de son usage.